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Pourquoi la majorité des universités seront en déficit à la fin de l’année

Amélie Petitdemange, Pierre Petitcolin Publié le
Pourquoi la majorité des universités seront en déficit à la fin de l’année
Bravant la neige, les présidents d'université se sont rassemblés devant le ministère de l'Enseignement supérieur le 21 novembre pour alerter sur la situation budgétaire de leurs établissements. // ©  France Universités
INFOGRAPHIES - La grande majorité des universités finiront l’année 2024 dans le rouge. Les établissements font face à des mesures gouvernementales non compensées, alors que les fonds de roulement s’amenuisent. Ce mardi 3 décembre, de nombreuses universités ont décidé de se mobiliser sous le slogan "Universités en danger". EducPros revient en infographies sur la situation budgétaire des universités françaises.

"La question n’est plus de savoir si un établissement est en difficulté, mais quand il sera en difficulté", confie Dean Lewis, vice-président de France Universités, à EducPros lors d'un entretien sur les finances des universités.

En 2024, 58 universités sur 70 devraient clore l’année avec un budget déficitaire, selon les chiffres du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Un chiffre qui s'aggrave d'année en année : elles étaient 27 en 2023, et 21 en 2022. En cause : de nouvelles dépenses qui se sont imposées aux universités sans nouvelles recettes.

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Des dépenses supplémentaires à absorber

Les établissements ont dû absorber le surcoût causé par les mesures Guérini, qui ont été compensées seulement pour moitié pour les fonctionnaires et pas du tout pour les contractuels. "140 millions d’euros n’ont pas été compensés au niveau national. Et l’augmentation de ce point d’indice est pérenne", souligne Dean Lewis. Le GVT (glissement-technicité-vieillesse) a représenté une autre dépense supplémentaire, qui a poussé de nombreuses universités à geler des postes.

Au même moment, l’explosion des coûts de l’énergie a alourdi la facture. Selon France Universités, le surcoût s’est élevé à 120 millions d’euros. Si un fonds de compensation de 200 millions d’euros a été mis en place pour 2022-2023, cela n’a pas été le cas pour 2024.

Ces dépenses supplémentaires pèseront à nouveau sur le budget 2025. Avec une contrainte supplémentaire : la non-compensation du CAS pension (le compte d'affectation spéciale qui finance les retraites des fonctionnaires). "Le décret, prévu pour janvier, est une épée de Damoclès. La précédente augmentation du CAS pension avait été intégralement compensée. Cette fois il ne sera probablement pas financé. Cela représentera 180 millions de dépenses sans recettes supplémentaires", explique Dean Lewis.

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La majorité des universités présente un budget en déficit cette année

Des situations différentes selon les établissements

Si la majorité des universités présente un budget en déficit cette année, toutes ne sont pas logées à la même enseigne. Huit universités subissent un déficit supérieur à 10 millions d’euros en 2024.

C’est notamment le cas de Paris-Saclay : avec 42,4 millions d'euros de déficit, l’université est particulièrement touchée. [Mise à jour du 4 décembre : l'université nous précise que "Ce chiffre est issu des prévisions budgétaires 2024 votées en décembre 2023, et ne reflète pas la réalité budgétaire qui est en cours de consolidation pour 2024. La cyberattaque que nous avons subie en août dernier nous empêche pour le moment d'avoir des chiffres plus précis, mais le déficit devrait être moitié moins élevé"].

D'autres universités connaissent des difficultés importantes, comme celle de Strasbourg (19,5 millions) ou Grenoble-Alpes (18,1 millions). L’ensemble des universités d’Île-de-France connaissent des difficultés budgétaires, à l’exception de PSL qui est à l’équilibre.

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M. Deneken (Udice) : "ll faudra que chaque université réduise la voilure et cesse certains financements"

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Des projets et des missions abandonnés : l'exemple de Paris Cité

L’université Paris Cité va, quant à elle, boucler son budget 2024 avec un déficit de 4,54 millions d'euros, alors qu'il s'élevait à plus de 11 millions d'euros en 2023. L’établissement a dû rogner sur plusieurs aspects afin de réduire son déficit.

Le plan d’économies s'est articulé autour de deux mesures : une réduction de 20% de la subvention aux laboratoires et une réduction de 20% au fonctionnement des services centraux et des composantes.

"Nous avons envie de nous projeter à long terme. Mais dans ces conditions, nous sommes contraints de fonctionner au jour le jour. Notre développement est ralenti, notre élan étouffé", commente Édouard Kaminski, président de l'université Paris Cité.

Les impacts de ces mesures sont variés. Côté vie étudiante, des projets de la direction des bibliothèques et musées visant à améliorer les espaces de travail pour les étudiants et les locaux de la bibliothèque n’ont pas pu être réalisés.

Dans les laboratoires, certaines missions ont été annulées, empêchant des chercheurs de partir à l’international. Des colloques ont aussi été annulés, diminuant ainsi le rayonnement de l’université. "Nous avons commencé à réduire tout ce qui constitue le prestige d’un laboratoire. À terme, cela se traduira par moins d’ingénieurs et de doctorants, une situation à laquelle je ne peux me résoudre", regrette Edouard Kaminski.

Les établissements ont, par ailleurs, de moins en moins les moyens de financer les projets de recherche. "Avec des budgets restreints, nous finançons les activités régaliennes au lieu de l’innovation, ce qui finira par nous coûter cher. Si nous ne pouvons plus soutenir les projets de recherche, nous sommes condamnés", alerte le président.

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Les dix universités les plus en difficulté

L'impact sur le décrochage de la France en recherche

Selon le président de l'université Paris Cité, la recherche interdisciplinaire sera la première victime des coupes budgétaires, car elle nécessite des moyens supplémentaires pour la coordination et la collaboration.

"L’État doit comprendre qu’il est essentiel de garantir les fondamentaux de la recherche. Car, sans cela, on met en péril l’innovation, qui est le moteur de la croissance", affirme Edouard Kaminski.

Le rapport Gillet souligne en effet le décrochage progressif de la France, en raison notamment d’un "déficit de financement de la recherche". L’Hexagone est ainsi passée de la 6e à la 9e place en termes de publications internationales entre 2011 et 2019. "Malheureusement, nous ne sortons pas de cette situation, à laquelle s’ajoutent le poids trop important des appels à projets et le coup de frein sur la loi de programmation de la recherche du PLF 2025", commente Dean Lewis.

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L'explosion du recours aux contrats précaires

L'université Paris Cité a par ailleurs décalé certains recrutements d’enseignants-chercheurs, qui ont été remplacés par des attachés temporaires d’enseignement et de recherche (ATER). "C’est un moindre mal, car cela permet de maintenir l'encadrement", assure le président.

Une stratégie loin d’être anecdotique, puisque le recours aux enseignants temporaires ou vacataires dans les universités explose. Le nombre de vacataires a augmenté de 30% en sept ans, selon un rapport de l’association Nos services publics, qui estime qu'ils représentent aujourd’hui les deux tiers des enseignants.

Une situation qui accroît la précarité des enseignants et nuit à la qualité de l’enseignement. "L'accompagnement des étudiants vers la réussite se dégrade. Certes, nous avons un enseignant devant les étudiants, mais ce n’est pas pareil d’avoir un attaché temporaire ou un enseignant-chercheur chevronné. Sans moyens suffisants, nous risquons de mettre de côté les étudiants les plus fragiles", regrette Edouard Kaminski.

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Budgets : les universités de sciences humaines et sociales s’estiment lésées

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Selon lui, ces économies de court terme risquent de coûter cher, à long terme. "Un mauvais encadrement peut rallonger le parcours universitaire de l’étudiant et entraîner des coûts plus importants pour l’État. C’est ce qui me frustre le plus ! Il faut réaliser que l’investissement dans l’université génère de la richesse pour demain et permet aussi de réaliser des économies futures".

En 2025, il faudra probablement trouver de nouvelles pistes d’économies, ce qui pourrait menacer les emplois. "Cela dégraderait les conditions de travail et ferait fuir les enseignants, réduisant encore davantage l’encadrement. C’est un cercle vicieux que je souhaite éviter", affirme Edouard Kaminski.

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Des fonds de roulement déjà fléchés

Face à l’accentuation des contraintes budgétaires, les universités sont enjointes à puiser dans leurs fonds de roulement. Mais ces réserves s’amenuisent, et sont prévues pour d’autres dépenses.

"C’est comme un salaire que vous recevez, mais dont vous savez qu’il sera utilisé pour des dépenses bien précises. Ces fonds sont en majorité fléchés pour financer des projets. Par exemple, 700 millions d’euros sont dédiés au plan d’investissement France 2030", explique Dean Lewis.

"Le fonds de roulement est notamment là pour les investissements immobiliers. Il est par ailleurs crucial de garder une capacité d’investissement pour l’avenir plutôt que de gérer les crises", abonde Édouard Kaminiski.

L’université Paris Cité est contrainte de puiser dans son fonds de roulement depuis deux ans. "Au lieu d’investir dans les bâtiments, nous couvrons le déficit. Faute d'investissement, dans quelques années, nous risquons de voir nos amphithéâtres si dégradés qu’ils ne pourront plus accueillir d’étudiants", prévient Édouard Kaminski.

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Pas de hausse des frais universitaires envisagée

Faut-il par conséquent trouver de nouvelles pistes de recettes ? Pour le président de Paris Cité, la marge de manœuvre est réduite : les aides liées à l’apprentissage sont menacées et la formation continue n’a pas le vent en poupe car les entreprises sont moins enclines à former leurs collaborateurs dans un contexte de baisse de croissance. Quant aux financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et au recours au mécénat, "ils seront de plus en plus disputés entre les universités".

La hausse des frais d’inscription à l’université, autre piste de recettes supplémentaires, reste un sujet sensible. Pour Dean Lewis, les deux conditions pour en discuter ne sont pas réunies : une réforme des bourses très ambitieuse ou une aide sociale universitaire progressive, ainsi qu’un engagement de l’État à maintenir les dotations des établissements.

Dean Lewis appelle donc à un rééquilibrage entre la subvention socle et les appels à projets.

Sans amélioration de la situation budgétaire, les établissements risquent d’être contraints de fermer des formations ou des antennes universitaires, un coup porté à l’accès aux études supérieures. "Ce type de décision est lourd de conséquences et nécessite du temps de réflexion", prévient Dean Lewis. "Or les universités vont être très vite dans la difficulté. Et, dans l’urgence, ce sont les plus mauvaises décisions qui sont prises".

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Les universités multiplient les actions pour alerter le ministère

Une vingtaine de présidents d'université ont manifesté devant le ministère de l'Enseignement supérieur, jeudi 21 novembre. Un nouveau projet de créer un "fonds de solidarité" financé par 1% de la SCSP (Subvention pour charges de service public) a cristallisé l'inquiétude. Le ministre Patrick Hetzel a finalement échangé avec une délégation.

"Nous attendons des mesures concrètes sur les budgets, les capacités d'accueil (impossibles à satisfaire dans ces conditions), le soutien aux antennes sur les territoires et au développement d'un maillage territorial de proximité", réagissait Jean-Luc Dubois-Randé, président de l'université Paris-Est Créteil présent au rassemblement, dans un post Linkedin.

Selon l'AEF et NewsTank, le ministre se serait engagé à geler le projet.

Plusieurs établissements, comme les universités d'Evry, de Côte d'Azur et de Lille, prévoient par ailleurs une journée de mobilisation le 3 décembre pour alerter sur leur "situation financière intenable".

Enfin, l'intersyndicale de l'enseignement supérieur et de la recherche appelle à rejoindre la journée de grève et de manifestations organisée dans l'éducation nationale le 5 décembre.

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Amélie Petitdemange, Pierre Petitcolin | Publié le
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