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Budget : dix universités vont expérimenter les nouveaux COMP

Sarah Nafti Publié le
Budget : dix universités vont expérimenter les nouveaux COMP
Dans le cadre des nouveaux COMP, l'intégralité de la subvention pour charge de service public sera désormais conditionnée à des indicateurs de performance. // ©  Sebastien Laval
Pour les universités, l'intégralité de la subvention pour charge de service public sera désormais conditionnée à des indicateurs de performance, dans le cadre des nouveaux COMP (contrats d'objectifs, de moyens et de performance). Une annonce qui soulève de nombreuses interrogations.

Début avril, Philippe Baptiste, le ministre chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche annonçait l'extension des COMP (Contrats d'objectifs, de moyens et de performance) à l'intégralité de la SCSP (subvention pour charge de service public). Cette mesure change en profondeur le dialogue budgétaire entre l'État et les établissements concernés.  

En effet, ces contrats ne portaient jusque-là que sur 0,8%, en moyenne, du budget de l'établissement. Inaugurés en avril 2023, ils conditionnaient l'obtention de moyens supplémentaires à la réussite de certaines objectifs, négociés au préalable entre l'établissement et l'État.

"La contractualisation au premier euro permettra désormais que la discussion entre l'État et l'université concerne l'ensemble de la stratégie de l'université", explique le ministère. Cette mesure sera d'abord expérimentée dans les dix établissements de Nouvelle-Aquitaine et de Provence-Alpes-Côte d'Azur, avant une généralisation prévue en 2026.

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Une subvention qui permet de financer les charges de fonctionnement

Virginie Laval, présidente de l'université de Poitiers envisage mal "la discussion au premier euro" prévue dans cette nouvelle version. En effet, une part importante de la SCSP - en moyenne plus de 80% - sert à la masse salariale. Si l'entièreté de la subvention est conditionnée à des indicateurs de performance, comment "exercer nos missions de service public ?", s'interroge-t-elle.  

À l'université de Bordeaux, la SCSP représente environ 380 millions d'euros pour un budget de 700 millions d'euros. Et même si elle augmente, "elle couvre de moins en moins les charges de fonctionnement de l'université qui subissent les conséquences de l'inflation", souligne Dean Lewis.

Ainsi, le président de l'université de Bordeaux ne pense pas "que l'on puisse appliquer des indicateurs de performance à l'ensemble de la SCSP" au vu de la part incompressible du budget de l'établissement liée à sa structure d'emploi. L'université de Bordeaux compte plus de 4.000 agents publics, sur 6.000 personnels "et la masse salariale correspondante est peu ou prou proche de la SCSP".

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Revoir la portion soumise au COMP

Pour Xavier Leroux, président de l'université de Toulon, il est normal d'aller vers "une part plus importante" du budget soumis au COMP afin de mettre en œuvre des aspects différenciants de la stratégie. Mais il faut selon lui déterminer la part soclée, et sur la part restante, savoir quel pourcentage sera soumis au COMP.

Le président rappelle que ces contrats permettent "un nouveau modèle d'allocation des moyens". Jusqu'ici celle-ci était distribuée en fonction du montant de l'année précédente, "sans vision globale au niveau national", créant des "incompréhensions entre les universités".

Georges Linarès, président d'Avignon Université, voit le COMP nouvelle version comme "une opportunité", car la première version restait une sorte d'entre-deux, "nous demandant de formaliser un projet sans impact financier majeur" mais il doit être "un levier afin d'obtenir des financements pour nous accompagner".

"Si on va dans ce format, c'est pour accéder à une réelle plus-value, abonde Virginie Laval. Il serait difficile de travailler une vision stratégique sans dotation supplémentaire."

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Une vision de plus long terme

Le COMP étendu s'inscrit désormais sur une période de cinq ans, ce qui est salué par l'ensemble des président interrogés.  "Les projets d'établissement s'inscrivent à moyen et long terme : on prépare l'avenir quand on prépare l'offre de formation et les axes de recherche", souligne Georges Linarès.

Le fait de pouvoir se projeter à cinq ans est "une très bonne chose" et pourrait permettre, espère Xavier Leroux "de limiter drastiquement le nombre d'appels à projets", voire de les exclure totalement "lorsqu'ils portent sur nos missions de service public".

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Une discussion en amont avec le rectorat et les partenaires locaux

Pour accroître la "déconcentration", les discussions préalables à la signature d'un COMP seront pilotées par les recteurs de région académique et recteurs délégués à l'Enseignement supérieur, la Recherche et l'Innovation, explique le ministère.

La discussion stratégique pourra inclure "les partenaires locaux de l'université" comme les collectivités territoriales ou les organismes de recherche.

Dean Lewis insiste sur "la complexité institutionnelle" de l'exercice "qui nécessitera de coordonner des multiples acteurs régionaux et nationaux". Même à Bordeaux, "où les conditions de dialogue et de collaboration sont très bonnes, la marche à franchir pour se projeter sur un contrat partagé et coordonné est très importante".

Pour Virginie Laval, si la discussion avec les différents acteurs "a du sens", l'université "doit rester cheffe de file", selon sa stratégie, et "sans se positionner dans une perspective uniquement adéquationniste".

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Piloter l'offre de formations

Dans un rapport "Flash" sur les COMP, la Cour des comptes relevait que "l'un des apports majeurs de ces contrats concerne le pilotage de l'offre de formation", et que "le ministère s'est appuyé sur Quadrant, un outil d'analyse de la performance en termes de réussite étudiante et d'insertion professionnelle".

George Linarès n'est "pas très inquiet" à l'idée de conditionner la dotation aux indicateurs "car ceux-ci font l'objet d'un contrat, et ne sont pas imposés par la tutelle". Mais l'évolution de l'offre de formation doit être un choix de conscience : "Nous pouvons financer des formations jugées non rentables car elles font partie de la signature scientifique de l'établissement, ou parce qu'elles représentent un potentiel de développement, par exemple".

Le pilotage de l'offre de formation doit donc se faire "avec" des indicateurs, et non uniquement "par" des indicateurs — au risque, sinon, "de rester sur une vision court-termiste qui ne permettrait pas de répondre aux besoins en formation des années à venir".

"Nous pouvons être capables de fermer des formations, de réorienter quand c'est nécessaire, mais nous ne pouvons pas évaluer les formations que sur l'employabilité au risque d'oublier la dimension recherche", ajoute Xavier Leroux, qui alerte sur "le leurre de l'adéquationnisme".

"Nous sommes déjà attentifs à certains indicateurs, comme le taux d'insertion professionnelle, qui nous servent à évaluer nos formations. Passer d'indications à indicateurs, pourquoi pas, mais à côté des formations professionnalisantes, l'université a encore vocation à développer des formations dites académiques".

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La crainte de fermetures automatiques en cas d'objectifs non atteints

L'une des craintes de la communauté universitaire est que le définancement intervienne de manière automatique dès que les formations ne répondent plus à des indicateurs, comme le taux d'insertion professionnelle ou le taux de réussite.

"Quand on transforme un indicateur en objectif, il devient un mauvais indicateur", estime Julien Gossa, maître de conférences à l'université de Strasbourg, pour qui les établissements pourraient être incités à "tricher" par exemple en donnant de meilleures notes aux étudiants.

Pour Dean Lewis, c'est surtout "la contrainte budgétaire" qui peut avoir une influence sur l'offre de formation. "Nous savons déjà que certaines filières ou disciplines à faibles effectifs sont menacées".

Quant aux taux de réussite, "il faut les analyser avec nuance, notamment en fonction des viviers de recrutement et des moyens de l'établissement". En effet, "si un établissement accueille des étudiants socialement fragilisés et qu'il a des moyens d'encadrement réduits, il ne serait pas surprenant que ses taux de réussite en licence soient plus bas". Dans ce cas, "le contrat, au contraire, devrait définir les objectifs et les moyens nécessaires pour augmenter les chances de réussite."

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Une pénurie de moyens qui persiste

Et le président de l'université de Bordeaux remarque également que d'autres difficultés restent en suspens : "La SCSP qui, loi de finances oblige, ne peut être allouée qu'annuellement et ne permet pas de donner des perspectives sur la durée du contrat".

De plus, elle reste "insuffisante" et la priorité des établissements restera "de gérer la pénurie de leurs moyens".

Enfin, convaincre les communautés universitaires déjà inquiètes risque d'être compliqué : "Parler de performance à moyens décroissants alors que les personnels de l'université sont déjà très engagés reste une gageure."

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