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Décryptage

"On ne sait pas trop où est la jauge, c'est un peu au feeling" : chez les jeunes diplômés, une négociation salariale pas toujours évidente

Les femmes sont encore souvent moins enclines à négocier un salaire.
Les femmes sont encore souvent moins enclines à négocier un salaire. © thodonal / Adobe stock
Par Rachel Rodrigues, publié le 09 octobre 2024
8 min

Au moment des premiers entretiens pour un emploi, les jeunes actifs n'ont pas tous la même propension à oser négocier leur salaire. La rémunération reste un sujet parfois difficile à aborder en entretien, notamment pour les femmes. Des jeunes diplômés nous racontent comment ils ont fait.

La première fois que Chloé a dû négocier un salaire, elle était presque terrifiée : "j'avais la main tremblante en abordant la question. J'avais peur", admet la jeune diplômée en droit, qui postulait à l'époque pour un contrat d'alternance dans un cabinet d'avocat. 

À ce moment-là, la jeune femme de 23 ans avait déjà été prise dans l'entreprise. "Je ne me suis pas sentie légitime de tout de suite demander pendant l'entretien, c'est une fois acceptée que j'ai osé demander", se souvient-elle. Plus tard, pour son premier poste en tant que chargée de mission RSE, elle osera aller jusqu'à la fourchette haute, sortie aguerrie de cette première expérience. "Je savais qu'on sortait avec 2.700 euros brut en RSE, et j'ai proposé entre 2.500 et 3.000. Mais j'étais dans des bonnes conditions où je connaissais l'entreprise, sans ça, je ne sais pas si j'aurai osé".

D'après plusieurs études de cabinets de recrutement, le salaire reste la première motivation des jeunes (52% selon l'APEC). Pourtant, la question reste encore difficile à aborder pour de nombreux jeunes actifs. "Les étudiants doivent appréhender la nouvelle posture de salarié", affirme Cécile Decofour-Martin, consultante en développement professionnel au sein de l'APEC.

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Se sentir légitime de négocier son salaire en tant que débutant

À la sortie des études, valoriser son profil peut apparaître plus difficile. "On n’a pas eu toujours l’opportunité de réaliser une alternance ou des stages en entreprise", pointe la consultante de l'APEC. "Et par manque de confiance, certains n'identifient pas forcément que les expériences de bénévolat peuvent être mentionnées". Un manque de légitimité peut également se présenter. "C'est compliqué de se placer et de connaître sa valeur quand on entre sur le marché du travail", affirme Eva, jeune ingénieure en génie civil.

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Malgré son bac+5, Zoë affirme ne pas oser "aborder la question par peur de ne pas être retenue". La jeune diplômée en technique du commerce international met en avant la concurrence en proie dans son secteur. "Avec l'essor de l'alternance, il est impossible pour nous, jeunes diplômés, de présenter des avantages concurrentiels sur le plan économique pour une entreprise." 

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Confrontée à des difficultés de recrutement depuis la fin de son cursus en janvier 2023, Marie-Claire a décidé, à plusieurs reprises, de baisser ses prétentions salariales. "Je me suis alignée aux salaires de base pour être prise", explique la jeune diplômée en communication.

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De l'auto-censure chez certains jeunes diplômés

Une forme d'auto-censure peut se manifester pour certains jeunes actifs d'origine plus modeste, qui n'ont pas connu les mêmes parcours que d'autres camarades issus de familles plus aisées. "Si vous avez fait des stages dans des écoles d'élites, en général, vous vous sentirez plus légitime à négocier votre salaire", détaille Benoît Landau, en charge du programme de mentorat à Article 1, une association spécialisée dans l'égalité des chances.

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Le constat est le même pour les jeunes femmes, souvent moins enclines à oser négocier leur salaire. Chloé se souvient d'un cours de recrutement qu'elle avait suivi dans le cadre de sa double licence de droit-LEA. "Le prof avait demandé ce qu'on allait aborder pendant les entretiens d'embauche après notre parcours. Sur les 18 filles et les 2 garçons du groupe, seuls les 2 garçons ont évoqué la question du salaire", affirme l'étudiante de 23 ans.

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Au même titre, l'experte en négociation salariale Insaff El Hassini a coaché plusieurs jeunes diplômées à l'exercice. "Certaines allaient jusqu'à me dire que ça ne se faisait pas de parler d'argent lors d'un entretien", affirme-t-elle. Elle rappelle qu'en raison d'une éducation genrée, les femmes ont souvent du mal à être plus assertives. "Et quand elles le sont, on peut parfois le leur reprocher."

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Les femmes demandent des salaires moins élevés

Selon les calculs d'une Chaire Audencia partagée dans le cadre d'un atelier de négociation salariale, en 2021, les femmes jeunes diplômées ont des prétentions salariales 15% inférieures à celles des hommes

De même, d'après une étude de l'APEC publiée en octobre 2023, les femmes cadres saisissent moins souvent l'opportunité de négocier leur salaire à l'embauche que leurs collègues masculins. (55%, contre 61% pour les hommes).

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En tant qu'étudiante étrangère (originaire de Côte d'Ivoire), Aissata a, elle aussi, conscience du risque de parfois "accepter la première offre venue, sans négocier". "On peut se dire que c'est une chance, que ça peut nous aider au niveau administratif", déplore l'étudiante, qui a pris soin de faire la démarche inverse, lors de ses entretiens d'embauche. "La première fois où j'ai demandé plus, je me suis sentie mal à l'aise", admet-elle néanmoins.

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Un manque de préparation à l'entrée dans la vie professionnelle

Et pour cause, plus qu'un sentiment d'illégitimité, la jeune ingénieure ne s'est pas sentie assez préparée à l'exercice. "En tant que junior, quels arguments je pouvais mettre en avant pour leur faire comprendre que ce qu'ils me proposaient était trop bas ?", interroge-t-elle. 

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Parfois, la négociation tient à un "coup de bluff" aux yeux de plusieurs jeunes actifs : "On ne sait pas trop où est la jauge, c'est un peu au feeling", confesse Eva. "Comme si on faisait une partie de poker et qu'on devait annoncer un chiffre."

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Comme Aissata et Eva, plusieurs jeunes diplômés interrogés pointent un manque de préparation à l'entrée dans le monde professionnel, et notamment à la question salariale, pendant le cursus d'études. "On a des cours d'orientation, mais ça ne nous apprend pas à comprendre comment ça se passe dans la vraie vie", regrette Océane, jeune assistante en communication.

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À l'heure actuelle, peu d'établissements d'enseignement supérieur, hors des écoles de commerce et certaines autres grandes écoles, ont intégré des modules dans leurs maquettes pédagogiques. "Quand on nous parle de vie professionnelle, c'est très vague ce qu'on nous raconte, et la négociation salariale n'est pas abordée", explique la jeune diplômée d'un BTS communication.

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L'essor de modules de négociation en écoles de commerce

Les career center (présents surtout dans les grandes écoles de commerce ou d'ingénieurs) aident leurs étudiants à analyser le montant du salaire qu'ils peuvent espérer gagner à la sortie. Des écoles de management comme Kedge, Audencia ou Neoma ont mis en place des ateliers pour sensibiliser leurs étudiants à l'exercice, ces dernières années.

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Au programme de ces ateliers : composition du salaire, connaissance des différents éléments de rémunération (salaire fixe et variable) ou encore techniques de négociation. "À quel moment aborde-t-on la question, sur quels leviers peut-on négocier ? On essaie de répondre à ces questions", détaille Delphine Conqueret, responsable du career center de Kedge Business School. Et "en plus, nous proposons du coaching individuel aux étudiants qui le souhaitent", précise-t-elle. De son côté Audencia cible plus particulièrement les femmes pour les préparer à l'exercice de la négociation salariale.

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L'objectif est rendre le sujet moins "flou" aux yeux des jeunes actifs, qui viennent d'entrer sur le marché du travail. "Dans certains domaines, la fourchette de salaire est indiquée sur les sites des établissements, ou sur Internet, mais l'indicateur n'est pas toujours très clair", affirme Cécile Decofour-Martin. "Cela peut aussi changer énormément d'une entreprise à l'autre". De quoi renforcer l'insécurité de certains à négocier leur premier salaire. Malaury, jeune diplômée en communication, a choisi d'aller contre son syndrome de l'imposteur. "Il faut toujours essayer, comme j'aime dire "fake it until you make it" (fais semblant jusqu'à ce que t'y arrives), et ça a toujours fonctionné jusque-là".

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Vers plus de transparence sur les salaires ?

D'ici 2026, une directive européenne sur la transparence des salaires devra être transposée par les entreprises de plus de 100 salariés. Le texte prévoit notamment la mention obligatoire du salaire sur les offres d'emploi.

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