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B. Beignier (recteur IDF) : "Les groupes de besoins, c'est personnaliser dans le collectif"

Ariane Despierres-Féry Publié le
B. Beignier (recteur IDF) : "Les groupes de besoins, c'est personnaliser dans le collectif"
Le recteur de Paris revient sur les enjeux de la rentrée // ©  Francois HENRY/REA
Préparation de la rentrée, choc des savoirs, enjeux de mixité scolaire et rôle du recteur, Bernard Beignier, recteur de la région académique Ile-de-France, recteur de l'Académie de Paris, partage son regard sur les enjeux du moment avec EducPros.
Le rédacteur de Paris Bernard Beignier
Le rédacteur de Paris Bernard Beignier © Sylvain Lhermie - Rectorat de Paris

Bernard Beignier est le recteur de la région académique Ile-de-France, recteur de l‘Académie de Paris depuis un mois et demi. Il reprend un rectorat crucial, après la démission de son prédécesseur, Christophe Kerrero, en mars 2024.

Pour EducPros, Bernard Beignier évoque sa vision du rôle d’un recteur, les enjeux de sa nouvelle académie, la préparation de la rentrée 2024 et le déploiement de la réforme du choc des savoirs qui suscite de nombreuses questions. Il partage également ses propositions pour enrichir les parcours et favoriser la mixité scolaire. Il insiste enfin sur la continuité de l’État après les élections européennes. 

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Nous entrons dans une période d’incertitude à la suite des élections européennes. Comment préparer la rentrée, à forts enjeux, dans un tel contexte ?

Dans ces périodes, la première réponse est la continuité de l’État. Pour ce qui est de la rentrée, sa préparation est déjà largement engagée. Nous continuons à y travailler et à affiner les mesures à déployer.

Après les élections, nous verrons le nouveau gouvernement et la direction qui sera donnée à ce moment-là.  

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L’école a-t-elle les moyens des ambitions de Gabriel Attal ?

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Vous êtes recteur depuis 2012, vous avez donc une vision sur l'évolution des enjeux dans le monde scolaire et académique. Quelles observations faites-vous sur ces évolutions ?

Il est permis de dire qu’aujourd’hui, un recteur s’occupe des jeunes entre 3 et 23 ans. A ce titre, la France fait exception en Europe sur deux points : elle est le seul pays à scolariser les enfants si tôt et celui où le décrochage scolaire est le plus faible.

Au sujet du premier point, c’est un enjeu considérable, car les inégalités se forment dans la petite enfance. Par ailleurs, il faut rappeler que la France scolarise l’ensemble des jeunes sur son territoire, qu’ils soient français ou résidents. Ainsi, parmi nos 12 millions d’élèves, l’ensemble des nationalités de l’ONU est représenté. 

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La seule institution qui lutte contre le chômage de longue durée, c’est le ministère de l'Education nationale.

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A l’autre bout du spectre, se trouvent les jeunes jusqu’à 23 ans. Ainsi, 90% des candidats au bac l’obtiennent, et 80% poursuivent des études supérieures. Parmi eux, ceux qui sont en bac+3 et ceux, en croissance, qui se sont engagés dans des formations en apprentissage.

De fait, la seule institution qui lutte contre le chômage de longue durée c’est le ministère de l’Éducation nationale. Car si vous avez une formation, vous aurez un travail. Notre ministère est celui de l’éducation et de la formation

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Et sur le sujet de la sélectivité, qu’observez-vous en région parisienne ?

Aujourd’hui, on peut constater qu’il est quasiment aussi exigeant d'intégrer une prépa d’un grand lycée qu’une université parisienne.

En Ile-de-France, on observe un phénomène de cercles concentriques autour de la capitale, avec une sélectivité décroissante à mesure que l’on s’en éloigne.

Le risque, c’est d’avoir, à terme, des universités minorées. Il faut veiller à préserver un équilibre.

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Quels sont les moments clé dans le phénomène de décrochage des jeunes ?

Il y en a deux : l’entrée en 6e et le passage dans le supérieur. A l’entrée au collège, le retard accumulé au primaire se creuse et s’accentue au fil des années, jusqu’à se traduire par l’échec dans le supérieur avec un étudiant sur deux qui échoue en licence.

On ne peut pas accepter que la première année du supérieur soit, comme je l’entends souvent dire, "une année de tri".  J’ai presque toujours enseigné en première année de droit à Toulouse. Un professeur a pour mission de faire réussir ses étudiants, en les guidant, en les encourageant et en leur donnant confiance.

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On ne peut pas accepter que la première année du supérieur soit, comme je l’entends souvent dire, "une année de tri"

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Sélection ? Le mot peut être accepté mais à condition que celle-ci soit juste et légitime. La sélection doit rimer avec orientation et non pas élimination. Surtout la condition fondamentale et morale est que l’on ait auparavant donné tous les moyens aux élèves et aux étudiants de réussir.  

Il est donc indispensable de prendre des mesures d’accompagnement pour assurer une meilleure transition vers la 6e et à l’entrée dans le supérieur. L’un des défauts de notre système est ce manque d’articulation entre les cycles et les moments-clé, de lien pour assurer des transitions réussies.  

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De quels outils disposons-nous pour accompagner ces transitions ?

Il faut renforcer les collaborations entre classes du cycle 3 [CM1, CM2 et 6e, NDLR]. Cela peut passer par des manuels de cycles qui existent mais restent rares. Il y a aussi la création de contacts et de collaborations entre les établissements.

A Marseille [où Bernard Beignier était recteur de 2014 à 2023, NDLR], nous avons mis en place des réseaux entre écoles, collèges et lycées. On peut aussi s’appuyer sur les cités scolaires et les lycées polyvalents. On ne mise pas assez sur les synergies dans ces lieux où étudient des jeunes de différents âges, cycles et voies.

Que les rectorats accompagnent les jeunes de 3 à 23 ans doit permettre de créer une vision et une action globales. Ces liens doivent aider à lutter contre les inégalités sociales tout en conservant la diversité des statuts des professeurs et l’organisation en cycles. Résumons : il faut de la symphonie.

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Parmi ces mesures, quelle place tiendra la mise en place du "choc des savoirs" ?

Pour vous répondre, je fais un rapide retour en arrière. Au moment de la création du collège unique, et de la fin des deux voies – CES pour l'enseignement secondaire et CEG pour l'enseignement général – qui menaient l’une aux écoles techniques et l’autre au petit lycée puis au supérieur, une question est restée irrésolue : qu’a emporté le collège unique de ces deux voies ? Le collège est-il la poursuite de l’école (le socle) ou l’anticipation du lycée ? En ne répondant pas à cette interrogation, le système est devenu inégalitaire. 

Pour schématiser, d’un côté il y a ceux qui ne rencontrent pas de difficultés, y compris en lycée pro, de l’autre ceux qui bien souvent ont raté leur entrée en 6e et dont les difficultés vont grandissantes au fil des ans au collège, et qui finissent par échouer. Beaucoup étaient orientés, sans le choisir, vers l’apprentissage, considéré trop longtemps comme une "voie de garage" alors qu’il est souvent une "piste d’envol".

Gabriel Attal en lançant le "choc des savoirs" [le 5 octobre 2023, alors qu'il était ministre de l’Éducation nationale] s’est emparé de ce sujet connu de tous avec lucidité. Sans lucidité, il ne peut y avoir de volonté.

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Pouvez-vous nous en dire plus sur le déploiement des groupes de besoins ?

Nicole Belloubet, ministre de l’Éducation nationale, a clarifié les choses dans la bonne direction en parlant de groupes de besoins. Car des groupes de niveaux c’était le risque de compartimenter, d’enfermer les élèves : ceux en situation de faiblesse le seraient encore plus, et ceux réputés bons pourraient végéter et se dire "nous sommes les cracks" alors que l’éducation, c’est aussi une éducation morale.

On ne peut laisser des jeunes penser cela et l’exprimer vis-à-vis de leurs camarades. L’éducation doit engendrer de la fierté et de l’humilité. Cela sert dans la suite de la vie.

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L’objectif est via ces groupes [de besoins] d’avoir des cours de soutien pour donner plus à ceux qui en ont besoin

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L’objectif est donc, via ces groupes, d’avoir des cours de soutien pour donner plus à ceux qui en ont besoin. C'est une question d’équité et c'est conserver le groupe classe. Pour résumer, il s’agit de personnaliser dans le collectif.  

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Au-delà du taux de réussite au bac, comment définir un bon lycée ?

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Comment gérer les difficultés de mise en œuvre, mais aussi la fronde de certains enseignants face aux groupes de besoins ?

J’ai conscience que cela est plus facile à dire qu’à faire. Concrètement, j’ai fait les réunions de préparation du choc des savoirs à Aix-Marseille puis à Paris. Soyons pragmatiques - ce que nous recommande la ministre : ce qu’on peut faire à tel endroit n’est peut-être pas faisable ailleurs. Tout repose sur le projet pédagogique et le fait de construire quelque chose qui correspond à la population de son collège.

Nous avons parfois une faiblesse sur ce plan : l’absence d’un vrai projet pédagogique conçu par une réelle équipe pédagogique. Là où les enseignants se sont emparés du sujet, ils déploient quelque chose d’adapté à leurs élèves.  

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Il est important d’avoir à l’esprit les deux mots de conclusion de la circulaire du DGESCO (directeur général de l'enseignement scolaire) : confiance et souplesse. "Nous vous donnons une boîte à outils, faites-en ce que vous estimez être le mieux".  

L’attention devra être portée à ne pas générer de décrochage. Par exemple, à Paris, le lycée qui va lancer une classe de prépa lycée sera Diderot dans le 19e arrondissement. L’idéal sera de ramener tout le monde au même niveau : ce sera des classes pour rebondir.

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L’inquiétude porte aussi sur le manque d’enseignants pour déployer cette mesure...

A Paris, nous n’avons pas de réelle crise du recrutement. Il faudra néanmoins recruter des contractuels en maths. En revanche, la situation va être plus délicate à gérer à Créteil et ma collègue rectrice y travaille. J’ajoute que la création des groupes de besoins ne doit pas entraîner le sacrifice des autres projets, très importants pour les élèves comme les professeurs.  

Nous avons un bel objectif, qui passera par une révolution copernicienne. Tout sera en place pour la rentrée, mais nous prendrons le temps pour faire les choses et pour que tout soit rodé. Il faut à la fois de la volonté et du doigté. Je rappelle qu’il aura fallu cinq ans pour stabiliser les choses suite à la réforme du bac.  

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Le recteur a pour mission d’appliquer une politique comme celle du choc des savoirs, mais aussi de faire des propositions. Et justement, après la réforme du bac, vous avez proposé de créer "un seul bac" ?

Je suis persuadé que nous pourrions avoir des rapprochements entre les divers baccalauréats et retrouver une unité.

Par exemple, au travers d’options, en permettant aux élèves de lycée professionnel de prendre des options de la série générale, et réciproquement. Pour permettre aux lycéens de s‘ouvrir à des dimensions complémentaires dans leur cursus.

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Il faut le redire : la mixité sociale ne suffit pas à engendrer la mixité scolaire.

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Lorsque la philo ou l’allemand ont été introduits en lycée professionnel, cela a fonctionné, car les programme et la pédagogie ont été adaptés. Cette formule permettrait d’enrichir les parcours et de créer de la mixité scolaire. 

Il faut le redire : la mixité sociale ne suffit pas à engendrer la mixité scolaire.

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Ariane Despierres-Féry | Publié le
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