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Budgets : les universités de sciences humaines et sociales s’estiment lésées

Judith Dargère Publié le
Budgets : les universités de sciences humaines et sociales s’estiment lésées
Les universités de SHS sont sous dotées par rapport à celles enseignant les sciences dures. // ©  Fred MARVAUX/REA
En 2023, les universités scientifiques étaient mieux dotées que celles de sciences humaines, de droit ou d’économie. Ce phénomène n’est pas récent, et est dénoncé par des présidents d'université et des chercheurs. Retour sur les origines de cette différenciation.

"Système inégalitaire", "effet Saint-Mathieu"... En 2023, les universités scientifiques ont reçu 2.321 euros par étudiant de plus que les universités de sciences humaines et sociales de la part de l’État. Cet écart s’élève à 4.001 euros par rapport aux universités de droit et d’économie. 

"L'université est financée de 80% à 90% par l'argent public", rappelle Emmanuelle Picard, professeure d’histoire contemporaine à l’ENS de Lyon. Ce financement est principalement contenu dans la subvention pour charge de service public (SCSP), qui varie selon les universités, et demeure plus élevées pour les universités contenant des enseignements scientifiques.

Les salaires représentent le premier poste de dépenses pour ces subventions. "90% des dépenses des universités est la masse salariale. Elle prend en compte en majorité les enseignants, mais aussi le personnel administratif, qui est plutôt constant par université, et le personnel technique", développe Alain Trannoy, professeur à l’école d’économie d’Aix-Marseille et directeur d’études à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales). Les dépenses de fonctionnement (chauffage, électricité, bâtiment), constituent environ 10% du reste de ces dépenses. 

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Un héritage historique qui se perpétue au fil des réformes

La différence de dotation entre les universités scientifiques et les autres remonte aux années 1980. Selon Alain Trannoy, cela est dû au fait que les "taux d’encadrement, qui servent à calculer les dotations entre les différents établissements, sont définis à partir d’une grille de nombre d’encadrants par étudiant qui est beaucoup plus favorable aux disciplines scientifiques plutôt que littéraires, droit ou économie".  

Plusieurs arguments sont avancés, d’après le professeur d’économie. Le premier est de considérer qu’il y a plus de travaux dirigés dans les disciplines scientifiques, alors que pour les sciences humaines la proportion de cours en grands groupes est plus élevée. De même, ces travaux dirigés nécessitent un équipement, des calculateurs ou du matériel de laboratoire à renouveler.

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La politique d’excellence entraîne-t-elle un système universitaire à deux vitesses ?

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Dans les années 1990 et 2000, les différentes réformes de financement de l’enseignement supérieur perpétuent cette différenciation. "D’une certaine façon, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2007 renforce de nouveau cela", estime Emmanuelle Picard, tandis que l'acte II de l'autonomie des universités a été lancé au printemps 2024.

"Avec les fusions, avec les initiatives d’excellence (Idex), avec toute la mise en concurrence, on observe un fort effet Saint Mathieu : on ne prête qu’aux riches. Quand vous avez déjà réussi, on va vous donner encore plus. Quand vous n’avez rien on va vous donner encore moins". Cela amène à une sous-dotation structurelle des universités de sciences humaines et sociales et des universités de droit et d’économie

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Moyenne des subvention pour charge de service public (SCSP) par étudiant accordées aux universités, par discipline

Pour aboutir à un système "inégalitaire" au sein même des disciplines

Anne Fraïsse, présidente de l’université Paul Valéry–Montpellier 3, dénonce ainsi ce qu’elle considère comme un système inégalitaire. "Il y a une base historique qui n’a pas évolué. À partir de là, les différences se sont accrues entre les universités, d’une façon qu’on comprend parce que l’État essaie d’appliquer une règle d’égalité de traitement. Mais appliquer un système égalitaire sur une base inégalitaire n’a jamais rien arrangé”.  

Pour elle, une interrogation majeure subsiste. "Pourquoi un étudiant d’une même discipline n’est pas financé de la même façon dans toutes les universités ?  J’ai posée la question il y a un an et je n’ai eu aucune réponse. Cela me semble être la pire inégalité dans l’enseignement supérieur : aujourd’hui, on est dans un système où les étudiants d’une même discipline - contrairement à ce que devrait permettre le service public - n’ont pas le même financement par l’État".

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Subvention pour charge de service public (SCSP) par étudiant pour chaque université en 2023

Vers un financement à la performance

De plus, depuis quelques années, l’État poursuit une politique orientée par la performance, notamment avec le lancement des COMP, les contrats d’objectifs, de moyens et de performance, signés entre les universités et le ministère, qui engagent les universités sur certains objectifs en contrepartie de moyens, en mars 2023.

"Ça n’a pas de sens. Qu’est-ce que ça veut dire être performant, dans les formations des universités ? On n’a pas à former les meilleurs de France, on a à former toute une jeunesse. La recherche de performance risque de mettre en concurrence les universités. Et on sait très bien comment améliorer ses résultats : il faut diminuer les capacités d’accueil", insiste-t-elle. 

La performance passe aussi par les initiatives d’excellence (Idex), ces programmes d'investissement étatiques visant à créer des universités de recherche de rang mondial, mis en place au milieu des années 2010. D’après Alain Trannoy, ces initiatives sont, là encore, plus favorables aux universités scientifiques. "L'essentiel des dotations d’excellence va aux disciplines de sciences dures. La comparaison est plus facile entre les universités scientifiques car il y a des revues internationales et donc une échelle de publication qui est acceptée par tous au niveau mondial". 

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"La grande tendance, c’est le désengagement financier de l’Etat"

Pour certains observateurs, les différences de dotation entre les universités se déroulent sur fond de désengagement financier de l'État. C’est ce qu’explique Emmanuelle Picard : "Il y a une diminution du financement par l’État, avec l’idée qu’il faut pousser les universités à trouver des solutions d’auto-financement. La grande tendance, c’est le désengagement financier de l’État".  

Les ressources propres - formation continue, frais de scolarité - et les fonds de roulement sont deux sources d’auto-financement des universités. Or, l'auto-financement, comme la réponse aux appels à projets, dépend des ressources des universités. Cela peut même les pénaliser, selon Vincent Gouëset, président de l’université de Rennes 2. "C’est une nouvelle activité pour laquelle il faut engager du personnel, qui est détourné des missions classiques des université. Tout cela pour gagner un argent supplémentaire qui ne peut pas être dépensé en dehors des termes de l’appel à projets". 

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M. Deneken (Udice) : "ll faudra que chaque université réduise la voilure et cesse certains financements"

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Un appel au rééquilibrage

Un groupe de travail sur le modèle économique des universités est organisé au sein de France Université. Les revendications se structurent pour le moment en deux idées : "d’une part une transparence et une clarté au niveau du calcul des dotations des universités, et d’autre part l’obtention d’un plan de rattrapage des universités qui sont notoirement sous-dotées”, commente Vincent Gouëset.  

"On plaide de façon régulière pour un rattrapage des financements. On était déjà très justes et les mesures salariales [mesures enjoignant les universités à augmenter les salaires] non compensées d’une part, et l’inflation non-compensée également, nous ont mis complètement dans le rouge. Il y a un appel à l’aide auprès de l’État sur la situation des universités en général et des universités en sciences humaines et sociales en particulier, notamment la nôtre", conclut-il, alors que l'examen du projet de loi de finances (PLF) 2025 est bien loin de calmer les inquiétudes.

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PLF 2025 : des hausses en "trompe-l’œil" pour l’Education nationale et l'Enseignement supérieur ?

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Judith Dargère | Publié le
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